dimanche 5 août 2018

R42.fr




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Les tendres plaintes.

Blessée par l'infidélité de son mari, Ruriko décide de disparaître. Elle quitte Tokyo et se réfugie dans un chalet en pleine forêt où elle tente de retrouver sa sérénité. Ruriko est calligraphe. Non loin, dans un autre chalet, s'est installé Nitta, un ancien pianiste de renom devenu facteur de clavecins, un homme habité par un calme particulier qui semble absorber les sons des instruments qu'il fabrique. Bien qu'assisté chaque jour dans son ouvrage minutieux par une jeune femme prénommée Kaoru, il vit seul avec un vieux chien aveugle et sourd. Invitée en ces lieux par Kaoru, la calligraphe observe et s'interroge sur la relation du facteur et de son aide. Ainsi elle apprend que Nitta ne peut plus jouer en présence d'autrui, que seule persiste en lui la capacité de vivre avec des sons invisibles. Mais, un matin, la calligraphe surprend Nitta installé au clavecin jouant « Les Tendres Plaintes » pour Kaoru. Ecrites en 1996, « Les Tendres Plaintes » contiennent tous les éléments révélateurs de la personnalité littéraire de Yoko Ogawa. Le regard porté sur la nature, sur ses sonorités, l'intensité de ses nuits, l'indicible solitude des êtres et leurs relations fugitives donnent à cette histoire une étrange résonance : celle qui prend source au cœur de l'inconscient. 


Est-ce une fable ? Est-ce un chant ? Est-ce tendre ? Yôko Ogawa nous entraîne dans une tendre mélodie où trois êtres solitaires se retrouvent, pour des raisons différentes à chacun, dans des chalets reculés situés en forêt. Des cœurs perdus et blessés où la solitude permettra de recoudre, un jour, ses plaies. Des failles et des fragilités qui s'expriment à travers les sons d'un clavecin ou les poils d'un pinceau de calligraphie. Un chien presque aveugle observe grâce à ses autres sens les protagonistes. 
En dehors du fait qu'un triangle amoureux se forme et que les non-dits foisonnent dans une tendre mélodie qui résonne emplie de plaintes, quelques sentiments ombrageux persistent comme l'ombre arrive avant la nuit. Ce qui fait la force de ce roman est, sans conteste, le silence et l'harmonie de la nature qui est omniprésente à travers les pages. Une mélodie qui s'échappe d'une fenêtre, la pluie qui frappe un toit, le bruit de l'eau sur une pagaie, un craquement de branches, un colorisation orangée des feuilles, de la neige sur un bonnet. Nature qui agit comme un catharsis sur les trois personnages afin de clarifier leurs doutes, leurs sentiments et leurs réels besoins. 

"Qu'il s'agisse de poèmes, de drames ou d'écrits religieux, il y a un tas d'univers à fouiller. Vous n'avez pas de temps à perdre. On n'est conscient que d'une infime partie de ses capacités" 

Le temps aussi est omniprésent. Les saisons soulèvent la question du temps qu'il faut à chacun pour se réparer soi-même. A se clarifier. 

"Elle en avait peut-être besoin. De venir dans un endroit où elle ne connaît personne, où coupée du temps, sans être perturbée par des inquiétudes, des peurs ou des souvenirs intempestifs, elle peut vivre uniquement avec des sons invisibles". 

"Alors qu'elle jouait juste sous mes yeux, j'avais l'impression que le son me parvenait d'un endroit extrêmement lointain. On aurait dit qu'il contenait la mémoire d'un temps illimité auquel personne n'avait touché. Le tranchant et la douceur, la magnificence et la grâce, la pureté et l'ombre, des impressions contradictoires jaillissaient ainsi en même temps pour se fondre aussitôt en une seule". 

Ne comptez pas sur de longues et grandes actions, il n'y en a pas. Imaginez-vous sur un sentier vers une tendre balade floconneuse dans un beau komorebi. Chacun sa route, chacun son chemin. 

"Le roussissement des feuilles était descendu jusque dans le bois. Les sorbiers étaient rouges, les mélèzes avaient jauni et le contour de leurs branchages se découpait sur le ciel. Le sol était tellement jonché de glands qu'on en avait mal sous les pieds. La lumière qui parvenait jusqu'au sol humide était fragile". 

Yôko Ogawa, nous offre une jolie analyse de la solitude humaine.  

"Le marais qu'ils portaient en leur cœur était trés profond. Pendant que les mots remontaient à la surface, ils perdaient leur signification et il n'en restait plus que des résonances". 
"Kaoru ne perdrait pas Nitta. C'est ce que j'ai compris à ce moment-là. Même couvert de sang, même sans ses doigts, il serait toujours près d'elle à travers le son d'un clavecin. Et je ne pourrais jamais effacer cela".  

"Ici, protégée par le calme, je me dis que ce serait tellement bien si je pouvais rester tout le temps dans cette paix qui me donne l'impression d'être acceptée pour ce que je suis. Mais c'est certainement impossible; Tout le temps, c'est une expression qui n'a aucun sens dans notre monde, n'est-ce pas ?"   

Yôgo Ogawa – Les tendres plaintes - Littérature japonaise – Éditions Actes sud / Babel poche - 2014 – 240 pages – ISBN : 9782330034429





  








mercredi 21 mars 2018

Le petit joueur d'échecs



Un petit garçon né avec les lèvres scellées vit aujourd'hui avec un léger duvet sur la bouche, une hypersensibilité à tout déplacement d'air. Après la disparition de sa mère, il passe de longs moments sur la terrasse d'un grand magasin, là où serait morte l'éléphante Indira. On dit que ce bel animal, mascotte d'un lancement promotionnel, devint un jour trop gros pour quitter les lieux.
L'homme, passionné par les échecs, va faire du gamin son héritier de coeur, il va lui enseigner la stratégie du jeu, tout un art auquel le jeune garçon ajoute une spécificité : il joue tel un aveugle, sans voir son adversaire, sans voir les pions...Retrouvant dans ce livre le motif du vieillard et de l'enfant, celui du lien issu d'une passion partagée, Yoko Ogawa poursuit l'exploration du sensible pour interroger, tel un écho silencieux, l'attachement à ceux qu'on aime, éternel.

Un matin, cet enfant solitaire découvre le corps d'un homme noyé dans le bleu d'une piscine. Et c'est en cherchant à savoir qui était ce malheureux que le gamin rencontre un gardien d'usine, un être obèse installé dans un autobus immobile et magique. Dès lors se dessinent entre eux une confiance quasi filiale, une relation toute familiale, un désir de legs, une envie d'héritage. 

Voici un livre dont il m’a fallu un certain temps afin de le terminer. Non pas par manque d’intérêt mais parce que je l’ai complètement grignoté, petits bouts par petits bouts, et je l’ai lu comme une véritable partie de jeu d’échecs. Les chapitres m’envoyant aux pièces demandant à être jouées. Ce livre est pour moi, une dose de douceur dans ce monde car l'histoire nous parle des attachements que nous éprouvons pour autrui et ce malgré les diverses séparations que nous côtoyons. L'histoire nous parle d'un petit garçon qui par un dramatique événement rencontre un homme obèse vivant dans un bus et qui lui apprendra à jouer aux échecs. 

"Bâtir son propre style, exprimer sa vision de la vie, se vanter de ses propres capacités, se montrer sous son meilleur jour : tout cela est totalement inutile. Tout cela ne sert absolument à rien. L'univers est beaucoup plus vaste que soi-même. Si l'on se préoccupe de son petit soi insignifiant, on ne peut pas véritablement jouer aux échecs. Libéré de soi-même, en dépassant le sentiment de vouloir gagner, on voyage librement dans l'univers des échecs...Si l'on peut faire cela, c'est merveilleux, n'est-ce pas ? " 

Il faut bien l’avouer que tous les personnages sont particulièrement attachant entre le petit joueur d’échecs a la bouche duvet, de la grand-mère et son chiffon à la petite Mirai avalée entre les murs en passant par Pion et l'homme obèse dans le bus. Tous les personnages sont attachants comme des pousses de bambou et au fur et à mesure que l'on tourne les pages, la magie de l’autrice se fait ressentir, enveloppant le lecteur dans le duvet. 

"Sur quels critères son adversaire avait-il été choisi parmi les membres du club ? C'était une chose incertaine, mais le garçon vit tout de suite qu'il était assez fort. Alors que, concentré sur l'échiquier comme si les autres n'existaient pas, il ne bougeait pas un sourcil, ce qui lui donnait l'air insolent, quand il déplaçait une pièce, sa trajectoire était pleine d'élégance et de beauté. Ses doigts fins et souples, débordant de confiance en soi, avaient l'air d'un décor commandé en harmonie avec le remarquable ensemble de jeu d'échecs".  


J’ai été touché par ce livre et c’est aussi à cause de cela que je ne l’ai pas lu vite parce que peut-être redoutait-je le Echec et Mat ? Qui sait ? Ou peut-être que le livre m’a aidé à replonger dans l’univers du jeu d’échecs que j’ai connu adolescent. Quoi qu’il en soit, j’ai passé un moment plein de grâce à la lecture de ce bouquin qui confirme encore plus mon grand intérêt pour la littérature japonaise dont l'auteur déploie une palette d'émotions tout à fait subtiles mais agréables. 



Le petit joueurs d'échecs - Yoko Ogawa -  Editions Actes Sud - 329 pages - 2015 - ISBN : 9782330053277 - 8,70   





 


  





jeudi 22 février 2018

Pourquoi avoir choisi comme titre de blog littéraire : une odeur de vieux livres.

Il n'est jamais évident de trouver un nom pour un blog. Le processus créatif étant ce qu'il est. Bon nombre de personnes ont déjà un nom de blog soit original que celui-ci soit court ou long. D'autres misent plus sur des choses simplistes.

Lorsque je me suis décidé à ouvrir un blog, parce qu'à la base ce n'est pas trop mon truc, il fallait que je sache où aller et étant de nature paresseuse au niveau de la rédaction lorsque ce n'est pas quelque chose d'urgent et bien je prends mon temps.

Au début, j'avais pensé à utiliser un de mes pseudos du web : « Docteur Veggie », mais cela faisait plus blog végétarien ou conseils nutritionnels. Puis m'est venu l'idée d’utiliser comme nom « a book in the moon », mais cela faisait blog pour anglophones. I am not. Un titre long ou un titre court ? Tout cela uniquement pour un titre de blog. La réponse m'est venu en allant prendre d'anciennes versions jaunies d'Agatha Christie  acheté en bouquinerie. Ceux-ci possédaient une odeur entre un mélange de vieux tabac, de renfermé et de chocolat noir, voire d'orange. Tout cela ? Comme j'ai l'odorat assez fin, la réponse est oui. C'est ainsi que je me suis décidé, au final, d'opter ce nom. Tout cela est vraiment fort passionnant, je vous l'accorde. 

Aussi ce blog étant à ses balbutiements, des hésitations sur les polices, les tailles et les couleurs sont à prévoir jusqu'à mi-mars. Et si vous trouvez des fautes grosses comme une maison ou que le sens d'une phrase semble confus, n’ayez pas peur de me le signaler. 

Konbini.


Depuis l'enfance, Keiko Furukura a toujours été en décalage par rapport à ses camarades. A trente-six ans, elle occupe un emploi de vendeuse dans un konbini, sorte de supérette japonaise ouverte 24h/24. En poste depuis dix-huit ans, elle n'a aucune intention de quitter sa petite boutique, au grand dam de son entourage qui s'inquiète de la voir toujours célibataire et précaire à un âge où ses amies de fac ont déjà toutes fondé une famille. En manque de main-d'oeuvre, la supérette embauche un nouvel employé, Shiraha, trente-cinq ans, lui aussi célibataire. Mais lorsqu'il apparaît qu'il n'a postulé que pour traquer une jeune femme sur laquelle il a jeté son dévolu, il est aussitôt licencié. Ces deux êtres solitaires vont alors trouver un arrangement pour le moins saugrenu mais qui leur permettra d'éviter le jugement permanent de la société. Pour combien de temps ? 






Une histoire assez déroutante, mais qui ne l'est pas spécialement. Konbini nous narre l'histoire de Keiko qui vit en marge des règles imposées par la société japonaise. Règles qui sont les mêmes en Europe, mais de manière plus souterraine (avoir un travail, fonder une famille, obtenir un diplôme, être utile à la société, et la liste serait longue etc). Regardez un peu la poutre qui est chez nous au lieu de celle qui se trouve au Japon. Malheur à ceux qui ne rentrent pas dans le moule afin de devenir une tarte sans aucune saveur. N'avez-vous jamais vraiment porté un jugement de valeur contre ceux qui vous semblent différents ? Tout au long de ce court opuscule, on peut découvrir Keiko qui pour elle semble avoir une vie normale, une vie qu'elle à choisie, mais qui n'est pas comprise par ceux qui sont rentrés docilement dans le moule du conformisme social. le personnage vit dans un dépouillement minimaliste, se soucie guère de certaines choses et se demande en quoi il faut être standardisé pour être accepté. 

"Les individus en marge de la société n'ont aucune intimité. Tout le monde vient nous marcher dessus, sans ménagement".  

Elle calque sont comportement à un mimétisme de ceux considérés comme normaux par la société. Se fondre dans la masse pour survivre sinon, c'est l'élimination. Et puis il y Shirasha, qui lui aussi vit de manière décalée et hors des normes imposées, mais si le premier personnage est insouciant, le second sait ce qu'il fait et pourquoi il le fait. 

"Les gens perdent tout scrupule devant la singularité, convaincus qu'ils sont en droit d'exiger des explications". 

Et puis, il y a l'entourage, conditionné, inquiet, préoccupé par les questions de mariage, de position sociale et de travail.  

"On a pas le droit à la différence. Pourquoi n'as-tu toujours qu'un petit boulot, à trente-cinq ans passés ? Pourquoi n'as-tu toujours pas de relation amoureuse?" 

J'ai beaucoup aimé la manière dont l'auteur en fait une satire sociale et la manière dont les personnage changent quand ils constatent que quelqu'un sort du lot. Après tout, n'avons nous pas peur de ce qui nous est inconnu ? Un livre intéressant sur l'art de nos choix de vie et de nos difficultés à résister à la pression sociale, aux jugements des autres et du regard porté ainsi que la pression . Une ode à la différence. 

"L'endroit est régi par la normalité. Tout intrus se voit immédiatement éliminé".  

Vu le nombre d'exemplaires vendus au Japon, tout me laisse présager du nombre de personnes qui sont entrés dans le monde du conformisme aux détriments de leurs profondes aspirations.. 
   

 Konibi -  Sakaya Murata  - Editions Denoël - 128 pages - 2018 - ISBN : 978-2207137201    15€


lundi 19 février 2018

Le chat qui venait du ciel.

Voici un roman touché par la grâce, celle d'un chat "si petit et si frêle qu'on remarquait tout de suite ses oreilles pointues et mobiles à l'extrême".
Quand un jeune couple emménage un jour dans le pavillon d'une ancienne demeure japonaise, il ne sait pas encore que sa vie va s'en trouver transformée. Car cette demeure est entourée d'un immense et splendide jardin, et au cœur de ce jardin, il y a un chat. Sa beauté et son mystère semblent l'incarnation même de l'âme du jardin, gagné peu à peu par l'abandon, foisonnant d'oiseaux et d'insectes. Tout le charme infini de ce livre tient dans la relation que le couple va tisser avec ce chat qui se fond dans la végétation exubérante pour surgir inopinément, grimpe avec une rapidité fulgurante au sommet des pins gigantesques, frappe à la vitre pour se réconcilier après une brouille. Un charme menacé, car ce qui éveille en nous la beauté et appelle le bonheur est toujours en sursis...
Hiraide Takashi, qui est avant tout poète, a insufflé une lumineuse et délicate magie à cette histoire du "chat qui venait du ciel", son premier roman, largement autobiographique.
?




Une histoire pleine de délicatesse et de poésie qui nous narre l'aventure d'un couple emménageant dans un pavillon d'une ancienne demeure japonaise. Tout s'axe principalement sur l'arrivée d'un chat sorti de nulle part à un moment précis de la vie du couple. S'ensuit alors une relation de cache-cache entre les protagonistes et le chat. Les émotions humaines sont traduites avec finesse et poésie.  

"Les aversions sont vraiment un étrange phénomène. Elles nous obligent à réfléchir aux liens particulièrement forts que nous avons dû entretenir dans une vie antérieure, mais comme l'idée seule d'avoir eu un lien nous répugne, nous avons tendance à rejeter cette pensée dés qu'elle fait mine de nous assaillir;" 

La nature est particulièrement représentée avec le jardin, les insectes et plus particulièrement le chat qui représente une forme de bonheur pour le couple. On y retrouve d'autres éléments comme l'orientation des points cardinaux qui accentuent l'effet de temps, de la vie qui s'y joue. Le temps qui passe, qui s'écoule, s'égrène est particulièrement bien omniprésent. Et dans ce temps qui passe, il y a le lien délicat et affectueux qui se créé avec le chat sortit de nulle part. Aussi fragile que délicat. Aussi affectueux que tendre.  

"Je savais que les chats n'abandonnent leur coeur qu'à leur maître, révèlent leur splendeur à lui seul". 

J'ai particulièrement apprécié la lecture de ce livre dont le récit particulièrement émotif m'a inspiré, mais qui m'a donné l'impression que l'auteur est particulièrement connecté et ancré à lui-même via la nature. On y retrouve comme à l'accoutumée, les éléments qui font de la littérature japonaise, un bijou délicat et enchanteur. Une histoire onirique, tendre, contemplative et méditative qui donne à réfléchir sur le temps qui passe et le lien de l'attachement. J'ai passé un moment particulièrement agréable et onirique, et je conseille la lecture de ce bouquin aux amoureux des chats.


Le chat qui venait du ciel - Takashi Hiraide - Editions Philippe Picquier - 130 pages - 2006 - ISBN : 978-2877308717 - 7€




vendredi 9 février 2018

Le restaurant de l'amour retrouvé.

Une jeune femme de vingt-cinq ans perd la voix à la suite d’un chagrin d’amour, revient malgré elle chez sa mère, figure fantasque vivant avec un cochon apprivoisé, et découvre ses dons insoupçonnés dans l’art de rendre les gens heureux en cuisinant pour eux des plats médités et préparés comme une prière.
Rinco cueille des grenades juchée sur un arbre, visite un champ de navets enfouis sous la neige, et invente pour ses convives des plats uniques qui se préparent et se dégustent dans la lenteur en réveillant leurs émotions enfouies.
Un livre lumineux sur le partage et le don, à savourer comme la cuisine de la jeune Rinco, dont l’épice secrète est l’amour. 









Je ne sais pas quoi dire. Non pas que je n'ai pas aimé. Je ne sais pas quoi dire parce que c'est beau, c'est lumineux, c'est plein de grâce, de bonté, de beauté et il faut vraiment que je cesse de donner des adjectifs qualificatifs sinon je vais utiliser tout le dictionnaire.

"Les souvenirs les plus chers, je les range bien à l’abri dans mon coeur, et je ferme la porte à clé. Pour que personne ne me les vole. Pour les empêcher de se faner à la lumière du soleil. Pour éviter que les intempéries les abîment". 

La lecture de ce bouquin fut un moment teinté de douceur dans un monde qui ne tourne plus rond. Tout comme Rinco qui cuisine lentement et avec amour, j'ai lu ce roman avec lenteur et amour aussi. Je l'avoue. Cette histoire est une histoire que l'on lit morceau part morceau tout comme on savoure un met délicieux ou un thé blanc aux arômes délicats. On lit cette histoire comme on regarde un escargot passer devant soi. Avec conscience et présence, Ce sont encore deux adjectifs que je vais ajouter pour parler du livre, enfin de son contenu même si l'image symbolique est aussi jolie que le contenu. 

"L’amour n’a pas besoin d’artifices, alors j’ai simplement ajouté une pincée de sel". 

On y retrouve des ingrédients qui font que le livre prend, il cuit petit à petit, comme du riz à la vapeur, il cuit avec conscience. Le personnage de Rinco est particulièrement attachant, car elle représente la bienveillance, faire les choses avec amour pour les autres. Les notions de simplicité font que cela marche, tout est fait avec conscience, la magie est là, dans la sensation, dans les saveurs, les odeurs, l'amour prend différentes formes et au fond tout cet amour transforme les autres. C'est beau, cela pourrait être perçu comme complètement bisounours ou naïf pour ceux qui sont blasés, mais ce livre a quelque chose de magique. Peut-être que tout cela se passe dans la coquille de l'escargot. Le bonheur est dans les petites choses, et l'émerveillement est en soi.

"Il me suffisait de sentir une odeur proche de celle des épices qui imprégnaient sa peau pour que, comme le chien de Pavlov, les larmes me montent aux yeux".

La cuisine sert de thérapie, elle se soigne elle-même et en se soignant elle-même Rinko soigne les maux des autres, l'amour perdu, l'amour retrouvé, l'amour inconnu. L'amour qui fut, qui revient et qui prend différentes formes comme l'affection pour sa grand-mère dont l'héritage ajoute à ces petits doigts de fée culinaire, une pincée de sel. L'ensemble du livre se lit comme une partition musicale qui éveillera les sentiments et fera fondre la glace. Un livre où la mélodie s'entend à travers les mots. 

"Quoique nous fassions, rien ne peut abolir le sentiment d'impuissance qui nous assaille quand la personne que nous aimons a décidé de partir".
 

J'ai passé un moment plein d'allégresse à la lecture de ce livre qui est pour moi, un des livres qui m'aura le plus marqué. Rinco de part la main de Ito Ogawa sera parvenue à mettre un peu de sel et des saveurs en m'offrant un met raffiné. Le met fut si raffiné qu'il me sera difficile de l'oublier.





En même temps, toute la terre et tout le ciel

Baie Desolation, Colombie britannique, Canada, 2011 Écrivain privée d'inspiration, Ruth découvre sur une plage un sac abandonné. Sans doute un des multiples restes du tsunami de 2011, qui s'échouent régulièrement sur les plages canadiennes. A l'intérieur, un bento Hello Kitty qui renferme un journal intime, reprenant la couverture originale de À la recherche du temps perdu, mais aussi un vieux carnet et quelques lettres illisibles. Ruth entreprend de résoudre l'énigme et de traduire le journal. Elle découvre l'histoire de Nao Yasutani, adolescente japonaise de seize ans. Ruth et son mari, Oliver plongent dans l'intimité d'une jeune fille déracinée qui a dû regagner Tokyo, sa ville natale, terre inconnue dont elle ne maîtrise pas les codes. Un retour brutal, le début du calvaire pour Nao : humiliée par ses camarades, la jeune fille se réfugie un temps chez son arrière-grand-mère, Jiko, fascinante nonne zen de 104 ans, ancienne anarchiste féministe, qui vit dans un temple près de Fukushima. Là, Nao apprend à être attentive à l'instant présent, à écouter les fantômes. Celui de son grand-oncle, Haruki Ier. Nao va mieux, jusqu'à ce jour tragique à l'école. Privée de tout lien avec ses parents, la jeune fille dérive de nouveau. Au risque de se perdre complètement. À des milliers de kilomètres, Ruth n'a qu'une obsession : sauver Nao. Mais comment la retrouver ? De quand date ce journal ? Ce peut-il que la jeune fille ait disparu, emportée par le tsunami ?  

 Voici  un roman qui m'a particulièrement plu. Premièrement pour l'onirisme qui se dégage du bouquin, mais également pour le style particulier où deux mondes à deux endroits différents se mélangent pour n'en former qu'un à travers le prise confidentiel d'un journal intime d'une jeune fille. Une jeune fille qui, victime de harcèlement, écrit son histoire et celle de sa famille dans son journal. Un journal intime servant de lien métaphysique entre les protagonistes. Jamais Proust n'aura autant retrouvé son temps que dans cet ouvrage poétique où les deux personnages liés par un phénomène quantique se croisent et se décroisent sur une ligne du temps qui se distord à coup sûr. 

On y ressent une forte influence du style Murakami et plus particulièrement de Kafka sur le rivage. Il y a cette même poésie, ce lyrisme et une douce mélancolie qui flotte et qui rendent la lecture agréable. Peut-être est-ce dû à l'histoire de Nao, victime de harcèlement qui ajoute cette touche mélancolique ou bien cette envie de sauver et de découvrir le sort réservé à Nao qui font que Ruth brasse toute la terre et tout le ciel ? 

"Dehors, dans le grand cèdre près de l'appentis, le corbeau de jungle rentrait la tête dans les épaules pour se protéger de la pluie. Ké, ké, ké, disait le corbeau. Il rouspétait contre le vent, mais le vent ne l'entendait pas à cause du vacarme, si bien qu'il ignora cet appel. Les branches se balancèrent, le corbeau s’agrippa plus fort pour se préparer à décoller vers le ciel". 

L'ambiance et l'effet humidité de la lecture (il y a assez bien de relation avec l'eau dans la narration) ont fait que ce livre m'a emporté comme une vague du naufrage. Aussi, il faut reconnaître que l'on a une impression d'avoir échoué soi-même dans tout cela. Passager du bateau qui sombrera. Autant de sens au livre qui s'échoue sur la plage, que pour Ruth qui reste dans le doute avec cette sensation d'avoir perdu à l'avance dans pas mal de choses. Là, encore le temps se distord. Le livre amène à quelques réflexions et pensées sur nos choix et l'influence de ceux-ci sur notre existence. On sent beaucoup d'interrogation de la part de l'auteure au niveau de l'écologie avec les références sur le tsunami, mais on y sent également un vécu personnel à travers le personnage intéressant de Jiko qui vit dans un temple bouddhiste retiré dans les montagnes, comme le fut Ruth Ozeki. Le réel se mélange à l'irréel et c'est beau.
  

"Les mots de Nao lui revinrent à l’esprit. Ou étaient-ce ceux de Jiko ? Etudier la Voie, c’est s’étudier soi-même. Non, c’était Haruki qui avait dit ça. En citant le maître Dogen qui parlait du zazen. D’une certaine manière, Ruth comprenait cette phrase. A ses yeux, le zazen se définissait comme une sorte d’observation de soi « moment par moment » censée conduire vers l’éveil. Mais ça voulait dire quoi au juste ?"

"S’étudier soi-même, c’est s’oublier soi-même. Peut-être qu’en pratiquant le zazen, l’impression que nous avons d’incarner un être solide, singulier, se dissout et qu’on finit par l’oublier. Quel soulagement, de savoir que l’on est libre de déambuler joyeusement dans l’éventail quantique de tous les possibles".

"S’oublier soi-même, c’est être éveillé par toutes les existences. Les montagnes et les rivières, l’herbe et les arbres, les corbeaux, les chats, les loups et les méduses". 

C'est un livre que je conseille à ceux qui ont lu Kafka sur le rivage et qu'ils l'ont apprécié. Ceux-ci devraient peut-être trouver celui-ci intéressant. C'est un des livres que j'emporterais sur une idée déserte. Autre point intéressant est le grand soin du traducteur à annoter le vocabulaire lexical spécifique du Japon, ainsi que l'appendice qui accompagne la fin du livre. Ce qui donne un aspect éducatif et instructif intéressant supplémentaire.
 



En même temps, toute la terre et tout le ciel - Ruth Ozeki - Edition 10-18 - 600 pages - 2015 - ISBN : 978-2264063076 - 9,10 €

Fils de l'eau

Un homme, poussé au désespoir par des malheurs successifs, se jette dans un lac avec son fils Gon. Le père meurt, mais l'enfant survit, grâce aux branchies que son corps développe dans un instinct de survie extraordinaire. Il est repêché par un vieil homme et son petit-fils qui vivent près du lac. Ils découvrent la singularité du garçon et décident de le garder avec eux pour lui éviter de finir sur une table de laboratoire. Adulte, Gon est obligé de fuir ce refuge et de mener une vie d?errance près de l'eau. Un jour, il sauve une jeune femme tombée dans la rivière par accident. C'est elle qui nous raconte l'histoire de ce destin insolite. Il faut défendre le talent de cette jeune romancière dont l'univers poétique et fantastique a conquis des centaines de milliers de lecteurs coréens.










Un livre envoûtant où l'eau vous berce et vous entraîne du début jusqu'à la fin du récit. Il s'agit du deuxième livre de littérature coréenne, et je dois l'avouer que j'apprécie ce style tout particulier. Le livre nous raconte l'histoire d'un enfant qui développe des branchies en guise d' instinct de survie lorsque son père décide se jeter avec lui dans un lac. L'enfant est recueilli par son un vieil homme et son petit-fils.  

J'ai apprécié ce roman fable qui nous montre bien le regard des autres ainsi que ce sentiment de solitude, car nous sommes différents. Un enfant grandissant dans un village pauvre et abandonné de tous où seuls quelques villageois restent là, perdus non loin d'un lac. Des gens, qui, par désespoir décident de s'y jeter pour en finir. A nouveau, ce sentiment de déréliction qui se fait ressentir à travers les pages. 

"Tu te rends compte, maman, j'ai vu un homme-sirène ! Ce doit être un prince qui vit dans un palais au fond de la mer. S'il a deux jambes comme nous, c'est qu'il a avalé la potion magique d'une sorcière. Pour quel amour ce prince-sirène a-t-il voulu avoir des jambes ? Est-ce qu'un jour il se transformera en écume, avant de s'évaporer au soleil du matin ?" 

Au fur et à mesure des pages, nous découvrons les changements physiques de l'enfant, ses écailles oniriques et sa manière de nager au plus profond du lac afin de se de soi et de disparaître dans les méandres. Des personnages torturés traînant, avec eux, leurs casseroles aux pieds. Bien que court, j'ai trouvé que ce livre laisse certains passages interrogatifs et déboussolent le lecteur afin de mieux le faire se remettre en question face à lui-même. L'eau du lac, l'eau du subconscient, l'eau dans laquelle nous nous noyons dans le quotidien ?  

"- Sors, maintenant, mon petit, lui dit le vieillard, tu vas t'enrhumer.

Sans lui répondre, le gamin continua de barboter en tournicotant dans le baquet. Ses jambes fines et ses petits pieds s'agitaient aussi vite que les nageoires d'une carpe. Sa peau ruisselante d'eau scintillait par endroits sous le soleil de midi et laissait deviner de futures écailles et des rayures dorées pareilles à celles qui ornent les flancs des esturgeons". 

Difficile pour moi de faire une critique correcte étant donné que le livre oscille entre une fable cachant des vérités sociétales : le rejet, l'abandon, la normalisation et la standardisation ; et comment l'humain s'adapte ou ne s'adapte pas à cette standardisation et normalisation. Un livre court, intéressant qui mérite à ce que le personnage de Gon nous revienne quelques années plus tard.  

L'autrice a aussi pris un petit plaisir à distordre la ligne du temps afin d’envoûter le lecteur dans sa propre fable. 


Fils de l'eau - Byeong-Mo Gu - Editions Picquier - 224 pages - 2016 - ISBN : 978-2809711578 - 7 €



jeudi 8 février 2018

Neige


C'était une nuit de pleine lune, on y voyait comme en plein jour. Une armée de nuages aussi cotonneux que des flocons vint masquer le ciel. Ils étaient des milliers de guerriers blancs à prendre possession du ciel. C'était l'armée de la neige.
Au Japon, à la fin de XIXe siècle, le jeune Yuko s'adonne à l'art difficile du haïku. Désireux de perfectionner son art, il traverse les Alpes japonaises pour rencontrer un maître. Les deux hommes vont alors nouer une relation étrange, où flotte l'image obsédante d'une femme disparue dans les neiges.
Dans une langue concise et blanche, Maxence Fermine cisèle une histoire où la beauté et l'amour ont la fulgurance du haïku.
On y trouve aussi le portrait d'un Japon raffiné où, entre violence et douceur, la tradition s'affronte aux forces de la vie.








Premier livre de Maxence Fermine  que je lis et j'ai envie de dire que je fus emporté par un grand moment de grâce méditative. C'est doux, c'est beau, c'est tout aussi contemplatif que la neige  qui tombe et recouvre de son blanc manteau, mais ce n'est pas que cela. Neige, c'est aussi la quête du beau, de l'émerveillement, de l'étonnement, mais aussi de l'amour. le tout écrit sous une poésie tendre où les vers des haïkus nous donnent à réfléchir sur le sens de la vie. 

Et ils s'aimèrent l'un et l'autre.
Suspendus sur un fil.
De neige.

Un petit livre digne d'un opuscule. Si vous avez envie d'un moment de calme et de repos mais dans le questionnement. Lisez le
La seule chose que je regrette est qu'en lisant ce livre, il ne faisait ni froid et qu'il n'y avait point de neige dans ma région. La lecture aurait été deux fois plus intense et comme le dit si bien Adamo :
"Tombe la neige. Tu ne viendras pas ce soir." 

Il y a deux sortes de gens.
Il y a ceux qui vivent, jouent et meurent. 
Et il y a ceux qui ne font jamais rien d'autre que se tenir en équilibre sur l’arête de la vie. 
Il y a les acteurs. Et il y a les funambules.



Neige - Maxime Fermine - Edition Point - 98 pages - 2011 - ISBN : 9782020385800 - 5,70€

Kafka sur le rivage


Magique, hypnotique, Kafka sur le rivage est un roman d'initiation où se déploient, avec une grâce infinie et une imagination stupéfiante, toute la profondeur et la richesse de Haruki Murakami. Une œuvre majeure, qui s'inscrit parmi les plus grands romans d'apprentissage de la littérature universelle. Kafka Tamura, quinze ans, fuit sa maison de Tokyo pour échapper à la terrible prophétie que son père a prononcée contre lui. Nakata, vieil homme simple d'esprit, décide lui aussi de prendre la route, obéissant à un appel impérieux, attiré par une force qui le dépasse. Lancés dans une vaste odyssée, nos deux héros vont croiser en chemin des hommes et des chats, une mère maquerelle fantomatique et une prostituée férue de Hegel, des soldats perdus et un inquiétant colonel, des poissons tombant du ciel, et bien d'autres choses encore... Avant de voir leur destin converger inexorablement, et de découvrir leur propre vérité.







C'est le tout premier roman de Haruki Murakami que je lis et non pas des moindres. Un joli pavé de plus de 630 pages qui mérite que l'on prenne un peu de son temps pour en tourner les pages. Kafka sur le rivage est considéré pour beaucoup comme la meilleure oeuvre de Murakami et la plus aboutie, elle a en effet le mérite de vous donner l'envie de relire une seconde fois le livre afin de mieux comprendre certains éléments, les métaphores qui nous ont échappée. Kafka nous plonge dans un chemin initiatique avec un sentiment de castration qui lui est propre. Celui-ci tente à tout prix d'échapper à la malédiction d'une prophétie que son père a lancé contre lui. Nous nous retrouvons en plein coeur d'un roman où le personnage central en construction de son identité est plongé en dans la tourmente entre sa raison qui le pousse à devenir fort, mais à ses sentiments qu'il éprouve.  

"Celui qui aime cherche la partie manquante de lui-même. Aussi, quand on pense à l'être dont on est amoureux, on est toujours triste. C'est comme si on entrait à nouveau dans une chambre pleine de nostalgie qu'on a quittée il y a longtemps".

L'histoire est troublante, car elle mène à une construction de son soi à une période vécue comme difficile. L'exemple de Oshima-san, femme qui préfère vivre sous les aspects d'un homme, nous montre un des facettes qu'a Murakami a voulu entre autre soulever au sujet de l'identité. Le roman se croisse sous un format de quête initiatique que cela soit au moment de l'adolescence chez Kafka Tamura ou bien chez Nakata, le vieillard en passant par Hoshimo à l'âge adulte, tous vont vers un accomplissement et une réalisation de soi et où chacune de leur réaction influence le déroulement de l'histoire et la vie des autres. 

"Nous perdons tous sans cesse des choses qui nous sont précieuses... des occasions précieuses, des possibilités, des sentiments qu'on ne pourra pas retrouver. C'est cela aussi vivre. Mais à l'intérieur de notre esprit - je crois que c'est à l'intérieur de notre esprit - il y a une petite pièce dans laquelle nous stockons le souvenir de toutes ces occasions perdues. Une pièce avec des rayonnages, comme dans cette bibliothèque, j'imagine. Et il faut que nous fabriquions un index, avec des cartes de références, pour connaitre précisément ce qu'il y a dans nos coeurs. Il faut aussi balayer cette pièce, l'aérer, changer l'eau des fleurs. En d'autres termes, tu devras vivre dans ta propre bibliothèque". 

L'agencement des chapitres est particulièrement bien pensé, car il donne une lecture à l'instant présent, ce qui se passe ici et là-bas. Les personnages tous énigmatiques et emplis de secrets influencent également l'histoire qui donne envie, à la fin, d'un chapitre de savoir ce qui se passera au suivant et finalement de connaitre ce qu'il leur adviendra de leur sort. Le style est particulièrement rempli de métaphores, de questionnements sous un aspect onirique, l'aspect poétique de la littérature japonaise est ici aussi bien présent et marqué. Elle apporte cette touche particulière qui donne au contenu de l'histoire toute sa saveur et sa particularité de se poser des questions sans réponses. J'ai passé un moment fort prenant à la lecture de ce livre.


Kafka sur le rivage - Haruki Murakami - Edition 10-18 - 648 pages - 2011 - ISBN : 978-2264056160 - 11 €


Vellichor





J'ai toujours aimé l'odeur des vieux livres dans les bouquineries. La langue française a bons nombres de mots pour un tas de choses, mais aucun pour désigner l'odeur des vieux livres ni de ceux tout juste sortis de chez l'imprimeur. 

 Une douce odeur de vieux livres. 
Une douce odeur de vellichor.
Une douce odeur de livres.
Tel est mon blog sporadique et épistolaire.
Ni plus ni moins.

Le rouge vif de la rhubarbe


La petite Ágústína, à son habitude, est descendue seule sur la plage à l’aide de ses béquilles et la force de ses bras pour méditer sur l’inconstance de la vie. Il y a longtemps que sa mère, universitaire émérite partie explorer les espèces migratoires aux antipodes, l’a confiée à la bonne Nína, experte en confitures de rhubarbe, boudins au sang de mouton et autres délices. Avec pour père de substitution épisodique Vermandur le bricoleur au grand cœur, celui-là même qui vit accoucher en catastrophe la mère célibataire d’Ágústína sur la banquette arrière de sa vieille automobile. 
Happée par son monde intérieur, Ágústína fait bonne figure, se mêle volontiers aux activités puériles ou têtues des adultes, subit avec une dignité de chat la promiscuité désobligeante des collégiens, chante d’une voix de séraphin dans un orchestre amateur et se découvre ange ou sirène sous le regard amoureux d’un garçon de son âge. Mais Ágústína fomente elle aussi un grand voyage : l’ascension de la Montagne, l’élévation qui lui donnera assez de cœur au ventre pour accepter sa destinée…




C'est un début de rentrée littéraire qui s'annonce sympathique. Le rouge vif de la rhubarbe nous entraine directement dans un coin perdu de cette merveilleuse Islande où des personnages atypiques vivent leurs vies au gré des éléments entre ciel et terre, entre culture de la rhubarbe et confiture, entre départ et absence.

"Le vent du nord qui s'engouffre dans le fjord fait des ricochets sur les crêtes blanches des vagues. Si l'astre rouge de l'hiver perce les nuages, on peut être sûr qu'il va rouler sur la neige verglacée et disparaître derrière la montagne au moment même où Agustina sortira de l'école pour rentrer chez elle".

Ce que j'ai particulièrement apprécié dans cette lecture est l'effet de douceur due à la plume de l'auteure qui parvient à rendre des conditions climatiques rudes de l'Islande en un paysage onirique et poétique. le tout agrémenté de personnages aux tranches de vie solitaire, mais jamais seuls. Agustina, Nina, Vermundur, Salomon chacun fait face et s'adapte à ses conditions de vie, à ses questionnements entre le froid et la neige, entre envie de départ et isolement.

"En fin de matinée, le jour commence tout juste à bleuir à la fenêtre; vers midi, il s'ouvre brièvement dans le noir comme un drap bleu ciel.Après, c'est de nouveau la nuit continue.

Elle avait promis à maintes reprises de ne pas descendre seule traîner sur le ponton. Avec ses béquilles, elle risquait de trébucher sur les déchets de poisson et de tomber dans la mer. 
— Le ressac t’emportera, lui disait Nína. 
Personne n’aurait pu imaginer qu’au lieu du ponton, Ágústína mettrait le cap sur sa plage privée. C’est qu’elle est du genre téméraire. À la voir crapahuter avec ses béquilles, on aurait pu croire le contraire. Pendant ce temps-là, Nína épluchait les pommes de terre sans se douter de rien."

Le style est fluide et le roman se lit vite. Ce fut pour moi, une lecture particulièrement reposante et ça, ce fut fort appréciable. Même si au fond, je n'aime toujours pas la rhubarbe.  

Le rouge vif de la rhubarbe. - Audur Ava Olafsdottir - Edition Zulma - 155 pages - 2016 - ISBN : 978-2843047565 - 17,50 €


mercredi 7 février 2018

Monsieur Origami


À l’âge de vingt ans, le jeune Kurogiku tombe amoureux d’une femme qu’il n’a fait qu’entrevoir et quitte le Japon pour la retrouver. Arrivé en Toscane, il s’installe dans une ruine isolée où il mènera quarante ans durant une vie d’ermite, adonné à l’art du washi, papier artisanal japonais, dans lequel il plie des origamis. Un jour, Casparo, un jeune horloger, arrive chez Kurogiku, devenu Monsieur Origami. Il a le projet de fabriquer une montre complexe avec toutes les mesures du temps disponibles. Son arrivée bouscule l’apparente tranquillité de Monsieur Origami et le confronte à son passé. Les deux hommes sortiront transformés de cette rencontre. 
Ce roman, d’un dépouillement extrême, allie profondeur et légèreté, philosophie et silence. Il fait voir ce qui n’est pas montré, entendre ce qui n’est pas prononcé. D’une précision documentaire parfaite, il a l’intensité d’un conte, la beauté d’un origami.






Voici une histoire que j'ai particulièrement appréciée.

Délicieuse odeur de zazen qui au fil des pages laisse penser à Basho. le style est dépouillé, minimaliste et laisse dégager un fort sentiment de tranquillité. 

Silence. 

Une histoire en format kaiku qui innove beaucoup la littérature française. Pas de surcharge, pas de fioriture. La lecture se fait vite, mais bien car pleine de philosophie et de réflexions sur la vie. 

Il s'agit d'y comprendre le sens du temps, des choses, des sentiments, de notre trace à nous, l'épitomé du livre y donné largement le contenu.  

"Elle a de longs cheveux noirs, brillants, légèrement ondulés. 
Ses yeux sont deux pupilles noires. Deux billes brillantes. Deux hématites.
Elle se dresse sur des escarpins hauts et fins – noirs – laissant apercevoir ses orteils vernis de noir. Les talons forment le galbe de ses mollets. La peau est soyeuse et brillante.
Le bord de sa robe noire flotte au vent.
Altière mais pas fière. Immobile – de cette immobilité que seul le mot « silencieux » peut qualifier. Une immobilité silencieuse.
Je tombe sous le charme. Le temps s’arrête." 

Silence. 

Ma critique appartient à celui qui s'en occupe comme dirait Monsieur Origami. 

Je vous laisse, futurs lecteurs, méditer à cette critique qui, j'espère vous donnera envie de lire ce bouquin. 

Nous sommes les rouages d'une montre très compliquée. Nous ne comprenons pas toujours ce qu'un petit mouvement de notre part fait bouger de l'autre côté du cadran. 

Peut-être serez-vous tentés ? 

Rien de plus, rien de moins.  

Dépliage.  

Monsieur Origami - Jean-Marc Ceci - Edition Gallimard - 168 pages - 2016 - ISBN : 978-2070197729 - 15 €

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